Pour chacun d'entre nous, la réalité se développe, littéralement, au fil des interactions sensorielles et motrices que nous entretenons avec notre environnement au cours de notre histoire de vie. Cette réalité, qui se construit en nous et évolue pour devenir de plus en plus riche et cohérente, est propre à chacun. En un mot, ce qu'il est convenu d'appeler « la » réalité n’est qu’une illusion puisqu'en fait il y a autant de réalités que d'individus.
Certes, depuis toujours, nous tenons pour acquise l'idée d'une réalité extérieure à l'individu (Searle J, 2004). Une telle illusion est consacrée principalement par le langage, canal d'une entente approximative entre humains quant à certains traits de leurs réalités respectives. Il est en effet résulté du partage, par des signes, de ce qu'on appelle le signifié, un véritable « lieu commun » des réalités individuelles. La plupart du temps, on oublie que ce lieu commun des réalités ne représente, comparé à chacune d'elles, qu'une infime intersection (au sens mathématique du terme). Un tel oubli est dû en bonne partie au contrôle qu’exerce sans relâche sur ce lieu commun au sein d'un groupe culturel (même dans une démocratie !), une minorité somme toute infime : ses régents. Or il y a là une source intarissable de dérives dont nous souffrons tous, cette minorité incluse. En voici une première illustration, ponctuelle, à propos du "vocabulaire de la naissance" (Odent, 2008). D’autres illustrations, bien plus générales, ont trait au rôle des médias (Herman E S & Chomsky N, 1988), au statut économique individuel dans les sociétés industrielles (Wilkinson R & Pickett K, 2009), à la confusion des valeurs dans l’enseignement et la recherche universitaires (Zuppiroli L, 2010).