Une connaissance du vivant qui aujourd'hui rend caduque toute distinction
tranchée entre le physique et le psychique – comme aussi entre le psychique et le social (deMause L, 2002) – est d'ores et déjà
accessible à tout un chacun. Malgré cela, le monde des soins conserve l'habitude
de voir dans les personnes qui souffrent des "cas" relevant de l'une ou
l'autre de ces catégories. Résultat : les individus dont le mal de vivre
ne peut être apaisé ni par la médecine conventionnelle, psychiatrie incluse,
ni par l'une ou l'autre forme d'intervention sociale se trouvent désemparés.
Effet pervers en prime: a) le désarroi institutionnel face à eux se traduit
par la création de "réseaux de prise en charge" qui font exploser
le coût des soins, et b), plus ce coût explose, plus la politique de la
santé devient restrictive à l'égard de ces mêmes individus.
Enfin, selon une vieille formule qui continue de donner le ton à cette politique, la santé doit être assurée par "des soins essentiels fondés sur des méthodes pratiques, scientifiquement saines et socialement acceptables". Il est utile de relever ici deux différences entre soins institutionnalisés et traitement privé d'un mal de vivre. Car ces différences, qui sont de taille, sont à l'origine de l'ostracisme auquel est soumis le secteur des soins privés aux individus qui souffrent d'un mal de vivre (Hacking I, 1995).
Première différence : le malvivant qui a droit aux soins prodigués sous l'égide de la société a tendance à rester passif dans la mesure où il est, littéralement, pris en charge. Surtout si l'essentiel de cette prise en charge est pharmacologique. Tout au plus lui conseillera-t-on de se ménager ou de cesser de fumer, lui fera-t-on suivre une cure de désintoxication à l'alcool ou à quelque autre drogue. Dans l'approche privée, au contraire, le malvivant se sent davantage partie prenante de ce qu'il entreprend pour se venir en aide. Dans la mesure où il reste l'acteur principal de son traitement, son thérapeute a essentiellement le rôle d'un assistant. Dès lors, les politiciens de la santé se posent la question de savoir si une telle assistance constitue un "soin essentiel". De plus, pour se déterminer, ils veulent savoir si cette assistance se fonde sur "des méthodes pratiques et scientifiquement saines". La réponse à ces questions est un point central. En ce qui concerne la thérapie primale, il fait l'objet des rubriques : Les leçons de la physiologie et Les leçons de la clinique.
Deuxième différence : dans les soins institutionnalisés, la personnalité de l'individu pris en charge et l'histoire qu'il a réellement vécue (surtout son histoire primale) ne font pas vraiment l'objet d'un examen approfondi. C'est précisément ce qui contribue à rendre ces soins particulièrement bien acceptés par la société. On ne va pas "fouiller le passé" et surtout on ne va pas "culpabiliser" qui que ce soit. Dans l'assistance au malvivant décidé à se venir en aide, au contraire, les méthodes quelles qu'elles soient mettent en cause, au moins indirectement, l'histoire du patient et les conditions précises dans lesquelles sa personnalité s'est développée. Celles-ci sont étroitement liées à ses ascendants et aux particularités du milieu social et affectif dans lequel il a été conçu et a vécu dès sa plus tendre enfance. C'est pour ça, précisément, que ces approches sont loin d'être "socialement acceptables", quand elles ne relèvent pas carrément du politiquement incorrect. Les réflexes d’opposition passionnels et idéologiques dont témoigne une pétition signée par de nombreux professionnels de l’enfance suite à une récente expertise collective publiée par l’Inserm en sont une illustration probante (Jeammet P, 2006).
Quoi qu’il en soit, les approches primales ne découragent pas le patient, lorsque cela se justifie, de voir en ses parents et proches les acteurs de ses frustrations et blessures primales. En règle générale, eu égard au secret professionnel auquel il est tenu, le thérapeute n'est pas directement incriminé. Tout se passe plutôt comme si l'establishment familial ou social se sentait remis en cause par le patient lui-même du simple fait qu’il commence à jouir de sa souveraineté nouvellement acquise.