contacter la douleur, éprouver la frustration, affronter, résoudre
La thérapie primale se distingue nettement des approches cognitives et comportementales. Loin de viser directement à rompre l'association entre un symptôme et les circonstances qui le font réapparaître sans cesse chez le patient, elle encourage celui-ci à s'en servir comme point de départ dans son travail d'autoassistance. Avec le temps et la pratique, ce travail lui permet de "vivre" enfin la douleur des frustrations et abus qu'il a pourtant réellement subis dans sa période périnatale ou sa prime enfance. Avoir le courage d'atteindre cette douleur encore jamais pleinement ressentie, de reconnaître et d'éprouver la souffrance primale a effectivement un sens que, en exergue de son livre, Stettbacher précise : « Si le fait de souffrir peut avoir un sens, alors je ne le vois qu'en tant que contribution à la résolution de la souffrance. Cela implique, pour moi, que l'on recherche et qu'on identifie ce qui est à l’origine de cette souffrance pour pouvoir, à l'avenir, lui mettre un terme ».
Enfin c'est par l'apport des sciences fondamentales du vivant, lequel pointe chaque jour davantage le rôle déterminant des expériences primales dans la genèse des maux de l'adulte, que l'approche du thérapeute primal se distancie de celle du psychanalyste orthodoxe. Autour de thèmes tels que "Anthropologie du fœtus" (congrès de Lyon, en 2004), "La relazione : origine e sviluppo della vita" (congrès de Milan, en 2005), c'est par dizaines que déjà se réunissent néonatologues, sages-femmes, obstétriciens, pédiatres et thérapeutes d'adultes.
Il est vrai qu'un apport des sciences fondamentales, plus particulièrement le concept de plasticité neuronale en neurophysiologie cellulaire, a inspiré certains psychanalystes orthodoxes. Ils s'en sont saisi pour défendre l'idée selon laquelle, par le jeu de ses associations d’idées et le pouvoir de son intellect, l’individu peut se démarquer d’une réalité psychique forgée par ses expériences anciennes et accéder à un modus vivendi susceptible de lui convenir. Le travail de Ian Hacking (Hacking I, 1995) nous rappelle qu’un tel optimisme est lié à deux de nos besoins fondamentaux : nous rassurer et nous convaincre que nous sommes libres. Nous rassurer… jusqu'au jour où l'urgence nous met en demeure d'accepter un vrai retour en arrière.
Dire, en désignant la maison, Je viens de là et je désire y retourner,
c'eût été mentir. Longtemps je n'avais plus voulu me souvenir que je venais
de là et je n'avais pris le chemin du retour que poussée par un sentiment
de défaite imminente. La morte que je portais en moi, cette jumelle enterrée
dans la maison de mon enfance et que j'avais tuée et retuée pour me donner
un semblant d'existence, s'était remise à vivre. […] j'ai accepté de revenir
en arrière. Je n'avais pas le choix. Elle menait un ramdam de tous les diables
dans mon esprit. Même mon corps commençait à présenter des symptômes de
débâcle. C'était moins pour obéir à son injonction que pour sauver ma tête
qui battait la campagne et mon corps devenu un foyer infectieux. Elle avait
réussi à me chasser de moi, moi qui n'avais que ma tête comme domicile sûr,
ma tête dans laquelle j'avais engrangé la sagesse du monde, ma tête meublée
de mots bien rangés - il me suffisait d'ouvrir un tiroir et de farfouiller
dans les cases pour en sortir un fichier qui m'apprenait tout sur la vie,
la mort, l'amour… Mon ménechme [i.e. Elle] avait mis ma tête sens dessus
dessous. Mon encyclopédie intime me refusa l'accès à tout réconfort. Plus
question pour moi d'appeler à la rescousse tel aveu de Kafka, dernier paragraphe
de la page 281 dans l'édition de poche, ou telle consolation de Plutarque
lue dans le train Paris-Bruges un 15 février.
Linda Lê, Mise en demeure,
in :
Autres jeux avec le feu, Christian Bourgois, 2002.