Chaque naissance a des conséquences différentes.
Elle peut devenir un point dappui pour toute la vie,
le fondement de la confiance originelle. Ou bien
empoisonner par ses répercussions chaque jour
lexistence.
Lévénement le plus émouvant, le plus impressionnant,
le plus marquant dans la vie dun être humain est sa naissance.
Dans toute sa vie, rien dautre ou presque ne provoquera un bouleversement
aussi total, avec une excitation de tous ses sens. Et, sa vie durant, toute
autre expérience excitant son organisme sera - par le biais dune
fonction de signal - mesurée à laune de cette expérience
fondamentale. Pendant neuf mois, nous sommes au "paradis" :
bien protégés, et rien que nous deux - maman et moi. Nous
pouvons (quand tout se passe bien), en paix et dans un dialogue avec la
mère, construire notre organisme avec le matériau que nous
a légué notre espèce, forte de ses millions dannées
dexpérience de la vie. A la fin de cette période paradisiaque
nous commençons à nous sentir comprimés. Cela va croissant,
nous aspirons à la délivrance, et rassemblons nos forces en
vue de cet événement. Avant la délivrance, lenfant
ressent de la joie et du désir. Lexcitation qui sensuit
est leffet de lactivité corporelle sollicitée
à son maximum. Ceci devrait en soi être jouissif, si leffort
de foulage, de pétrissage et de massage à accomplir pour naître
pouvait être vécu comme un plein succès. Le bon départ
dans la vie pourrait se définir ainsi : venir au monde dans
le désir de sensations corporelles intenses, dans la joie, se sentir
en sécurité, être véritablement le bienvenu.
Malheureusement, ce départ dans la vie nest que trop souvent
une brutale et douloureuse expulsion du "paradis". Parfois, cest
une plongée en enfer, dans la chambre de tortures de la salle daccouchement.
Ici, "en toute bonne foi", lon torture un être vivant
censé pouvoir devenir plus tard un homme ou une femme équilibré(e),
sachant se diriger dans la vie. Linconscient de lenfant noubliera
jamais cette expulsion et ce mauvais accueil. Avant dêtre libéré
de son confinement, il avait éprouvé de la joie et du plaisir :
cest, en quelque sorte, dans cet état dhumeur quil
sapprêtait à entrer dans la vie. Mais lorsque cet événement,
accompagné dune intense excitation, se termine en torture,
lenfant ne trouve rien, dans son répertoire phylogénétique,
qui puisse lui en fournir une explication. Il ne pourra pas non plus analyser,
conceptualiser cette monstrueuse expérience, car il na pas
encore de pensée abstraite. Lenfant se sent livré à
détranges forces qui le maltraitent, le tirent, le poussent,
le pressent, le battent, le suspendent par les pieds. Il sétrangle
et sétouffe. Pour pouvoir survivre à cette torture sans
dommage, il ny a quun seul moyen: son organisme sanesthésie
de lui-même. Si lorganisme ne disposait pas de cette possibilité,
la trop forte douleur entraînerait des lésions organiques,
voire la mort. Mais cette plongée dans linsensibilisation nempêche
pas le corps demmagasiner dans linconscient les "données"
nécessaires à lindividu pour sa survie. Ainsi, même
des phénomènes périphériques (qui ne pourront
recevoir quultérieurement une identification et une interprétation)
sont enregistrés avec beaucoup de précision, avant et après
le "black-out". Entre-temps, le petit être torturé
percevra confusément des objets et des silhouettes qui deviendront,
par la suite, les supports de sa remémoration de lévénement.
Si plus tard il travaille sur ses souvenirs, les informations ainsi stockées
se montreront utiles. Mais sil ne le fait pas, elles viendront, angoissants
fantômes, hanter ses cauchemars, sèmeront la confusion dans
sa vie quotidienne, provoqueront même parfois des troubles somatiques.
Rien détonnant que, le corps ayant enregistré ce terrible
traumatisme, lévénement devienne limage même
de lenfer, reste déposé dans linconscient comme
lhorreur suprême, et comme un signal dalarme annonciateur
de tortures mortelles.
Imaginez quun médecin arrache un nourrisson
de son berceau, lattrape par les pieds, le laisse
ainsi suspendu et le frappe. On le considérerait,
y compris dans notre culture, comme un fou et un danger
public. Mais traiter de la sorte un petit être
humain quelques jours plus tôt, à sa naissance,
passe pour une indication médicale. Or cest
le moment où le système nerveux central
humain est le plus sensible, et le plus capable dapprentissage.
Après la naissance, nous devenons pour ainsi dire de jour
en jour plus oublieux, parce que nous devons recueillir et assimiler
de plus en plus dimpressions. Le nouveau-né na
pas encore dautre expérience du monde extérieur
que ce qui lui a été transmis dans le ventre
de sa mère. Il est stupéfiant de voir que lon
traite avec aussi peu de scrupules et de ménagements
le petit humain au moment de sa vie où il est
le plus sensible et le plus vulnérable.
jks